Questionnaire épicurien de Christophe COMES avec Laurent GASPARD

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Voilà une dizaine d’années que la Distillerie du Petit Grain est née sous l’impulsion de Laurent Gaspard, parallèlement à son activité d’enseignant. Inspiré par la plus pure tradition de la grappa italienne, il distille eaux-de-vie de fruits, mais pas seulement. Des gins aussi, sous l’impulsion du chef Christophe Comes de la Galinette à Perpignan. Les agrumes rares offerts par le cuisinier et provenant de ses deux hectares de jardin ont en effet permis à Laurent de commencer à faire des tests qui se sont transformés en coup d’éclat. Son gin, reconnu par les plus grands œnologues, sera même élu à l’aveugle Meilleur gin de France en 2021 par un jury organisé par François-Régis Gaudry. Nous l’avons rencontré le temps d’un questionnaire épicurien.

Chefs d’oc : Je crois savoir que vous êtes enseignant…

Laurent Gaspard : Oui, j’enseigne le français

Et aussi distillateur. Où est le lien entre les deux ?

Le goût du paysage. Un paysage de Méditerranée. Le maquis, la vigne… Le ciel poli par le vent… Je ne suis pas né ici, mais quand j’ai découvert ces paysages il y a 25 ou 30 ans, cela m’a bluffé. Et à partir du moment où j’y ai vécu la question s’est posée, de ce que je pouvais faire pour dialoguer avec ces paysages, pour en faire une vie, pas seulement une passion. Plus concrètement, je me suis rendu compte qu’en France nous n’avions pas de tradition véritable en termes d’alcools, contrairement à l’Italie qui s’intéresse à tout le monde. Aux femmes comme aux hommes, et avec une présence beaucoup moins agressive que celle des alcools en France. Des choses plus aromatiques…

Vous allez commencer par élaborer des eaux-de-vie et puis, au bout de quelques années, du gin…

Nous avons commencé à distiller avec mon épouse Patricia, il y a une quinzaine d’années. Et c’est à ce moment-là que nous avons démarché Christophe Comes à la Galinette. Nous avons découvert un homme d’une grande écoute, et d’une profonde bienveillance. Sa table est devenue notre restaurant préféré. À chaque fois, nous sommes troublés par ses assiettes qui ressemblent à un jardin enchanté au plus près des saisons. Par ses déclinaisons de textures qui restent au plus proche du produit. Sa cuisine est une invitation au voyage, elle est bouleversante… elle rend les êtres heureux.

Il y a donc un lien entre votre production et le chef… 

Oui. Un jour le chef m’a offert une trentaine de mains de Bouddha de son jardin en me disant “cela me fait plaisir de te les offrir, fais-en ce que tu veux”. C’est lui qui nous a donné sans le savoir l’impulsion première pour faire du gin


N’y pensiez-vous pas encore à ce moment-là ?

Non, je trouvais que le gin était un alcool opportuniste et urbain. Je le prenais de haut mais en réalité, je n’avais rien compris. Progressivement j’ai pris conscience de toute sa complexité et de son potentiel

Qu’est-ce qui vous inspire quand vous élaborez vos recettes ?

J’ai envie de dire, assez curieusement, que c’est toujours une question de couleur. Les yeux fermés, c’est la recherche de parfums qui peuvent être complémentaires, qui peuvent dialoguer ; c’est la recherche d’une imbrication et d’un déploiement. J’ai une colonne vertébrale qui sont les notes résineuses de baies de genièvre, et il doit y avoir des notes aromatiques qui viennent se superposer, comme des notes d’agrumes. L’idée, c’est de trouver ce parfum complémentaire qui crée un sentiment de bien-être. Qui donne envie d’être partagé.

En cuisine, on parle d’accord mets et vin. Qu’en est-il de vos gins ? Peuvent-ils se marier à un plat ?

Je ne prends pas en considération cette notion dans l’élaboration de mes recettes parce que je pense que le produit doit suffire en lui-même comme un verre de vin finalement. Je veux faire des alcools qui soient complets, qui racontent leur propre histoire. Mais cela n’empêche pas qu’ils puissent se marier.

Quel serait votre meilleur souvenir de gastronomie ?

Probablement un bar à la truffe, chez Christophe justement. C’était la première fois que ma fille en mangeait, elle en a découvert tout le potentiel aromatique à chaque bouchée. C’était assez émouvant.

Êtes-vous sensible à la façon dont sont produites les matières premières produits que vous utilisez dans vos recettes ?

Complètement. La cuisine de Christophe offre une très grande fraîcheur, une grande pureté qui vient finalement de la manière dont il cultive son jardin, ses légumes, ses fruits, ses agrumes, ses fleurs. Le bon sens paysan, la permaculture, la biodiversité… constituent l’édifice de sa cuisine. C’est sa force motrice, et cela l’a été aussi finalement quand il m’a dirigé vers le gin sans le savoir. C’est un bel être humain qui offre à travers ses produits et ses assiettes quelque chose qui va plus loin que simplement de la cuisine.

Quels conseils donneriez-vous à des initiés ou des amateurs pour tirer le meilleur parti d’une dégustation de gin ?

De le faire en deux étapes. D’abord déguster le gin pur, et dans un second temps avec un tonic mais pas plus de 60 %.

Est-ce quelque chose que vous avez déjà essayé ?

Pas personnellement, mais certains chefs s’y essayent avec succès. Je sais que des chefs dans la région de Bordeaux ont utilisé notre gin à base d’agrumes sur des poissons par exemple. Franck Putelat a créé un dessert en association avec ce gin, des tartes aux pamplemousses.

Vous parlez de cuisine avec beaucoup de poésie… Vous-même, cuisinez-vous ?

Oui je cuisine mais de façon très instinctive, toujours des produits frais. C’est assez rudimentaire mais jusqu’ici mes convives sont satisfaits. Dans la cuisine, j’aime le cru et le frit. Je n’aime pas du tout le détrempé. La soupe française correspond à peu près à tout ce que je déteste (Rires). Quand je distille, je fais tout pour éviter ce moment où l’on a du végétal détrempé.

Y a-t-il une cuisine qui vous touche particulièrement ?

Je dirais la cuisine méditerranéenne, italienne plus précisément. C’est compliqué de vous expliquer pourquoi… Elle a quelque chose d’authentique, de sincère… sans transformation… elle forme un dialogue entre le paysan et la terre.

Infos :
Impasse de la Distillerie
34360 Saint-Jean de Minervois
T. 09 83 61 24 05 / 06 63 57 77 04