Patrimoine : Canet-en-Roussillon, le port où la mer a plus d’un gréement dans son sac

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Entre barques catalanes et catamarans, un port aux deux visages

À Canet-en-Roussillon, vieux gréements et multicoques high-tech partagent les mêmes eaux. Port de pêche devenu “capitale du catamaran”, ce port méditerranéen cultive un art rare : conjuguer patrimoine vivant et industrie nautique.

UN PORT NÉ DU “ GOUFFRE”, ENTRE PÊCHE ET PLAISANCE

Il faut imaginer, au nord de la commune, un vaste plan d’eau baptisé “Le Gouffre”, dernier vestige d’un bras de la Têt. C’est là, au début des années 1960, que deux associations locales, Sport Nautiques Canétois et Groupement des Pêcheurs Professionnels, décident de creuser un avenir à leur mesure : un port, adossé à la mer. Un projet mené sans l’aide de l’État, la mission Racine ayant soigneusement ignoré Canet, trop occupée à dessiner les futures stations balnéaires voisines. Résultat : un port financé sur fonds propres, puis géré par des sociétés privées avant que la Ville reprenne la main dans les années 1980, pour en faire ce qu’il est aujourd’hui : un port de 1 300 anneaux, capable d’accueillir des géants de 35 mètres, et fort de 600 mètres de quais techniques.

L’ÂME DES VIEUX GRÉEMENTS : UN PATRIMOINE QUI FLOTTE ENCORE

Mais derrière les chiffres, il y a l’âme des vieux pêcheurs. Celle des barques catalanes, fièrement alignées sur le quai Florence-Arthaud. “Canet, c’est la plus grosse concentration de bateaux du patrimoine des Pyrénées-Orientales”, sourit Charles Saget, président de l’Association des Bateaux du Patrimoine. Créée dans les années 1980, cette association veille sur une soixantaine de bateaux en bois, dont une quinzaine de barques catalanes labellisées Bateaux d’Intérêt Patrimonial (BIP). Leur histoire ? Celle de la pêche méditerranéenne, quand ces barques partaient au large poser leurs filets. “Les charpentiers Bernadou, arrivés de Sète, ont restauré ces bateaux et ont permis qu’ils naviguent encore aujourd’hui.” Un chantier vivant, unique, où l’on continue de réparer et de transmettre. L’été, ces bateaux ne sont pas là que pour faire joli : tous les mercredis à 17h, des visites guidées racontent leur histoire, et les jeudis matin de juillet août, c’est la spectaculaire reconstitution de la pêche à la traîne, avec filets tirés à la force des bras depuis la plage.

LE ROYAUME DES MULTICOQUES : CANET, CAPITALE DU CATAMARAN

Mais Canet, ce n’est pas qu’une carte postale figée. C’est aussi la “Capitale du catamaran en Méditerranée”, un titre que la ville assume fièrement, avec un pôle nautique unique en Occitanie. Ici, 40 entreprises, représentant près de 900 emplois, travaillent autour du nautisme : construction, mécanique, composites, gréement, sellerie, hydraulique… Au premier rang, CATANA, deuxième constructeur mondial de catamarans de croisière, ou WINDELO, qui conçoit des multicoques écoresponsables à base de matériaux recyclés. À côté des vieux gréements, ces géants des mers sont la preuve que Canet sait parler au futur. Le port s’est doté d’équipements hors normes : aire technique de levage jusqu’à 200 tonnes, quais spécialisés, nouveaux bassins, et même une capitainerie sur toit, avec vue imprenable sur les mâts qui frôlent le ciel.

UN PORT QUI MISE SUR L’AVENIR DURABLE

Depuis 2011, la SPL SILLAGES pilote le port avec une stratégie tournée vers l’innovation et le développement durable. Dernier projet en date : une station de désalinisation solaire, pour rincer les bateaux sans puiser dans l’eau potable. Côté formation, l’Académie de la Mer, adossée au lycée Rosa Luxemburg, prévoit une offre complète, du CAP au doctorat, pour les futurs pros de la plaisance, de la construction aux technologies embarquées. Une manière de renforcer l’écosystème, d’ancrer l’économie nautique localement, et de préparer la relève.

QUAND LE PATRIMOINE RENCONTRE LES LOISIRS

Le port de Canet est aussi un lieu de vie et de rencontres : l’aquarium Oniria, premier site touristique des Pyrénées-Orientales, a reçu plus d’un million de visiteurs en trois ans. Juste en face, les “Quais des Loisirs” invitent à tester le paddle, le jet-ski ou à embarquer pour une sortie en mer. Et sur les quais, les étals des pêcheurs racontent une autre histoire : celle de Manu de Casas et des frères Montoya, pêcheurs petits métiers, qui vendent directement leurs prises. Une façon de rappeler que la mer nourrit encore les hommes.

UN PATRIMOINE VIVANT ET FESTIF

Car le patrimoine ici se vit en musique et en sardines grillées. “Chaque été, on organise des sardinades pour 300 personnes, et des reconstitutions de pêche au lamparo, avec lumières sur les bateaux pour attirer les poissons comme autrefois”, raconte Charles Saget. Les Voiles Classiques, grande régate de vieux bateaux (prochaine édition les 12 et 13 juillet), attirent des dizaines de participants. Et pour les enfants, la Fête des Pirates transforme le port en théâtre grandeur nature : “On fait monter les gamins à bord, on joue à sauver une princesse, il y a des fumigènes… un vrai succès !”

UN PORT QUI FAIT LE GRAND ÉCART, AVEC PANACHE

À Canet, la mer ne se contente pas de miroiter sous le soleil : elle raconte une histoire où les barques catalanes croisent catamarans, chalutiers et yachts. Un port qui, derrière ses milliers d’anneaux, cache un subtil équilibre entre traditions maritimes, industrie d’avenir, tourisme et transmission des savoir-faire. Canet, un port qui navigue entre les siècles – et qui ne semble pas près d’accoster.