L’interview étoilée de Thierry MARX

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Nous avons eu l’honneur de rencontrer dans les locaux de l’umih, son président, Thierry Marx, chef doublement étoilé, pour une interview exclusive. Un vrai moment de réflexion sur les métiers de l’hôtellerie et de la restauration, leur évolution, et des considération

Thierry PERRIER : Vous êtes Président national de l’UMIH, pouvez-vous présenter cette structure à nos lecteurs ?
Thierry MARX :
Bien sûr. L’acronyme UMIH signifie Union des Métiers et des Industries de L’Hôtellerie. Issue du regroupement de plusieurs organisations patronales, l’UMIH représente, défend et promeut les professionnels indépendants de l’hôtellerie, de la restauration, des bars, des cafés, des brasseries, du monde de la nuit et des professions saisonnières, dans tous les départements et régions de France.

TP : Quelles sont ses missions ?
TM : La principale mission de l’UMIH est d’informer et d’accompagner ses adhérents pour
le développement de leur activité. Ses équipes sont réparties dans plus de 100 bureaux
départementaux et sont en mesure de conseiller les établissements adhérents dans les domaines juridique, fiscal, social, ainsi que sur les problématiques d’emploi et de formation, mais également de communication. L’UMIH est le porte-parole du secteur et se positionne ainsi comme l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Nous nous battons pour faire valoir le poids économique du secteur de l’hôtellerie-restauration et du tourisme, et pour une meilleure prise en compte des spécificités des métiers qu’elle représente.

TP : Vous avez fêté en octobre votre premier anniversaire à la présidence de
l’UMIH, quel premier bilan tirez-vous de cette présidence ?

TM : C’est une première année comme je m’y attendais ! Quand j’ai mené ma campagne pour être élu, elle portait sur trois points principaux : la communication, interne et externe, l’impact social et la formation professionnelle, et l’impact environnemental. Nous avons mis
en place les fondamentaux de ce qu’il faut faire pour les dix prochaines années sur ces
trois grands sujets. Est-ce que c’est facile ? Non ! Il y a eu des moments très durs, très noirs, les premiers mois, avec notamment un congrès très chahuté. Beaucoup pensaient me débarquer car mes idées sont à long terme, et qu’il ne faut pas juste traiter l’urgence mais bien être dans l’anticipation sur les dossiers que j’ai évoqués. Cette deuxième année qui commence part sous de meilleurs auspices !

TP : Quel regard portez-vous sur les évolutions de vos métiers ?
TM : Beaucoup de mes confrères sont nés, comme moi, dans le siècle passé. Notre convention collective date de 1997, je ne suis pas sûr qu’elle soit encore adaptée aujourd’hui. Tous les experts que nous consultons nous confirment bien ce que nous pensons tous : que le rapport sacrificiel au travail est terminé. Il va falloir une nouvelle organisation. L’ubérisation du travail, via l’auto-entrepreunariat, nous guette aussi, et comment allons-nous alors financer notre modèle social ? Ce sont des enjeux importants sur lesquels nous devons réfléchir et qu’il nous faut, une fois de plus, anticiper.

TP : Et sur la problématique actuelle des recrutements ?
TM : Les problèmes sont nombreux sur ce sujet. Il y a 220.000 autoentrepreneurs aujourd’hui dans nos métiers, et il y a également les problèmes d’hébergement saisonnier des personnels, notamment à cause des meublés touristiques. Cela fait partie de nos combats. Pour tous ces sujets, il faut savoir mettre du temps entre l’émotion et l’action, et prendre le temps de réfléchir. Je pense que nous devons être force de propositions, et trouver des solutions plutôt que des coupables ! Il ne faut pas non plus oublier le problème
démographique de notre pays. Dans quelques années, il nous faudra trouver beaucoup de monde pour tenir nos établissements…

TP : Quand on parle recrutement, on parle aussi du rapport au travail et du sens que l’on y trouve …
TM : Exactement. La société s’interroge globalement sur le fait de donner du sens à sa vie, pas que les jeunes d’ailleurs ! Pourquoi le travail n’émancipe-t-il plus ? C’est un sujet ! Quand vous proposez un emploi aujourd’hui, comme c’est le cas pour nous avec notre
SMIC, à 1 800 ou 2 000 € par mois, pourquoi reste-t-il au salarié 1 350 € à la fin du mois pour vivre ? Alors, vous me direz qu’il faut augmenter les salaires, mais encore faut-il que l’entreprise soit en capacité de le faire ! Savez-vous combien il reste de marge sur 100 000 € de chiffre d’affaires ? 2 000 € toutes taxes payées ! C’est compliqué.

TP : Que recherchent les collaborateurs aujourd’hui dans vos métiers ?
TM :
Du sens, on l’a dit, que l’entreprise permette de s’émanciper, mais aussi qu’elle ait des valeurs, notamment sur le plan social et environnemental. C’est ce que j’applique dans mes propres entreprises avec, par exemple, 20 % d’inclusion et un impact environnemental traçable. Car, tant que ce n’est pas traçable, cela ne sert à rien sauf à agiter les bras ! Il faut mesurer la croissance de l’entreprise, certes, mais en conscience. J’évoque souvent ces sujets, le “tout-profit” est remis en question et il nous oblige à être plus vertueux et toujours innovant, à faire bouger les cercles établis avant nous, même si ça coince !

TP : Vous êtes très investi sur le plan personnel sur la formation et la transmission, est-ce lié à votre propre parcours ?
TM : Probablement. Je suis né dans un quartier très populaire, c’est vrai. En 2004, 2006, je suis reconnu Chef de l’année, j’ai les étoiles, la notoriété, des émissions parlent de moi… alors beaucoup de personnes de ces quartiers m’ont écrit, m’ont interpellé, et je me suis interrogé sur la manière d’aider les gens qui viennent de la même extraction sociale que moi. Par coup de chance, j’ai rencontré deux personnes formidables, Julien L AUPRÊTRE, Président du Secours populaire et Véronique COLUCCI, des Restos du Cœur. Je me suis impliqué avec eux, puis j’ai cherché comment redonner un projet aux personnes qui souffrent. Pas juste un emploi, mais un projet de vie. On a créé dix écoles en France autour de la cuisine et de la boulangerie, avec un fort taux d’inclusion, et on propose des solutions pour sortir de la précarité et retrouver un cap. C’est un travail long mais nécessaire. Ce qui est sûr, c’est que dans nos métiers, nous avons des choses épanouissantes à proposer.

TP : Vous, à titre personnel, pour un recrutement, entre motivation et compétence, que privilégiez-vous ?
TM : La motivation bien sûr ! Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans la sélection des compétences, mais dans la séduction. C’est à moi de séduire le candidat avec les atouts de mon entreprise. Et c’est vrai pour les 75 000 restaurants de France, même les plus étoilés ! C’est pour cela que nous devons travailler tous ensemble, pour préserver notre hospitalité à la française et garder notre tourisme.

TP : Nous connaissons vos établissements “Le Sur-Mesure” et “Le Camélia”, au Mandarin Oriental à Paris… avez-vous des projets dans les cartons ?
TM : J’ai un projet à Saint-Ouen et vise toujours le même développement à l’international, notamment avec le Japon, depuis 35 ans maintenant ! Le monde de l’agriculture m’intéresse beaucoup, notamment sur les aspects hébergement et développement de produits du monde végétal. Je me suis beaucoup investi avec Bleu-Blanc-Cœur et j’adorerais avoir un lieu d’accueil lié au monde agricole. Bleu-Blanc-Cœur, c’est une démarche agricole et alimentaire durable visant à améliorer la qualité nutritionnelle et environnementale de notre alimentation, en diversifiant et équilibrant l’alimentation des animaux avec des fourrages et des graines. L’idée est de proposer une alimentation saine, d’améliorer la santé des animaux en créant de la valeur pour les agriculteurs et les territoires.

TP : Dans votre dernier ouvrage paru en 2020 chez Flammarion “Celui qui ne combat pas a déjà perdu”, vous reveniez sur le confinement dû à la crise sanitaire du COVID-19, et j’ai retenu cette phrase dans l’introduction “cette crise nous a donné une grande leçon : la terre est un village”. Trois ans plus tard, pensez-vous encore possible de nourrir les hommes sans la mondialisation et la production de masse ?
TM : Oui, c’est possible, on peut le prouver ! Tous  nos travaux vont dans ce sens avec Bleu – Blanc – Cœur. Ce sont 7 000 agriculteurs, ce n’est pas rien, qui prouvent qu’en diversifiant, on arrive à réaliser de belles choses sans intrants chimiques. A huit milliards d’habitants sur Terre, nous devons repenser nos modèles. J’aime bien le propos du scientifique Gilles BŒUF qui déclare “ce que nous avons payé pendant la crise du COVID, ce sont notre imprévoyance, notre arrogance et notre cupidité”. Peut-être que si l’être humain retrouve un peu d’humilité, si l’on arrive dans nos écoles à refaire des mangeurs et non des consommateurs, nous aurons peut-être un peu moins cette alimentation à deux vitesses, une pour les individus qui vont bien et une pour ceux qui ne vont pas bien, avec un reste à vivre insuffisant. Là encore, il y a des sujets de fond. Il nous faut réapprendre à manger mieux et manger moins, et retrouver la notion du partage et bien sûr notre souveraineté alimentaire.

TP : Vous qui avez travaillé à Nîmes au Cheval Blanc au début des années 1990, avez-vous un attachement particulier à notre région ?
TM : Je suis resté très attaché à la région, et plus particulièrement à Nîmes, je dois le reconnaître. C’est une ville touchante, discrète, qui s’attache à une certaine vérité. Je ne remercierai jamais assez les Nîmois pour ce qu’ils m’ont donné, pour les amis que je m’y suis faits et que j’ai toujours aujourd’hui. Et puis, mon fils est né à Nîmes, ce qui renforce encore mes liens avec cette ville. Pour parler plus de l’Occitanie, c’est une région qui me passionne, elle est d’une diversité absolue et propose des univers tellement différents !

TP : Il y a un sujet en Occitanie, notamment, qui est le manque d’eau. Y êtes-vous sensibilisé ?
TM : Bien sûr, j’en profite pour saluer Brice SANNAC de l’UMIH 66, qui a été l’un des premiers à nous alerter pour que l’on crée une commission Eau, à laquelle d’ailleurs les ministères se sont beaucoup intéressés ! On a réussi à mettre en place des mesures d’urgence, c’est bien, mais il va falloir repenser des choses, prendre conscience que l’on gâche beaucoup l’eau. L’eau va devenir l’un des ingrédients les plus chers de la gastronomie dans les décennies qui viennent. Il va falloir s’y préparer. Nous avons levé sept millions d’euros avec l’ADEME pour pouvoir aider les entreprises à la transition écologique : panneaux solaires, récupération de l’eau, formation des personnels sur les déchets… Il faut réfléchir au restaurant et à l’hôtel de demain qui devront maîtriser absolument leur impact environnemental.

“j’ai un attachement particulier à l’occitanie, elle me passionne, elle est d’une diversité absolue et propose des univers tellement différents !”

TP : Vous avez fait vôtre cette devise “Être et durer”, pouvez-vous nous en donner la recette ?
TM : Être en harmonie avec soi-même, être capable de regarder au-dessus de la ligne d’horizon, et surtout vivre sans ennemis ! Ce qui ne signifie pas ne pas combattre…

TP : Pour terminer sur un clin d’œil, vous trouvez une lampe magique et, après l’avoir frottée, un génie apparaît. Vous avez un vœu, quel qu’il soit. Lequel formulez-vous ?
TM :
Éradiquer la misère. C’est le terreau de toutes les problématiques de notre monde.