Thierry Bonnier Préfet des Pyrénées-Orientales avec Jean-Louis RICART

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Thierry Bonnier, préfet des Pyrénées-Orientales, incarne l’autorité bienveillante d’un homme d’État profondément ancré dans les réalités du terrain. Formé à l’ENA, il a su transformer son parcours atypique, débuté dans l’éducation sociale, en un engagement sans faille pour l’intérêt général. Fier de ses racines alsaciennes et fervent défenseur des traditions locales, il voit dans la gastronomie bien plus qu’un plaisir gustatif : un art de vivre, un lien indéfectible entre les hommes et les territoires. Épicurien dans l’âme, il célèbre la cuisine comme une passerelle culturelle, reflétant ses valeurs de partage, d’authenticité, et de respect des savoir-faire locaux. À travers ses responsabilités, c’est cette vision humaine et conviviale de la République qu’il s’efforce de promouvoir, unissant fermeté et humanité dans chacune de ses actions.

Quel est le plat qui a le plus marqué votre vie ?

L’œuf pourri à la truffe de Gilles Goujon. C’est un plat absolument remarquable, très surprenant, qui explose en bouche. On a envie d’y revenir. On ne veut pas que cela s’arrête. Le chef m’a raconté qu’il l’avait enlevé de sa carte, sauf qu’il était devenu son plat signature. Les gens venaient, ils étaient déçus. Il a été obligé de le remettre. (Sourire) Gilles Goujon a, très franchement, les trois étoiles qu’il mérite.

Existe-t-il un restaurant dans le monde que vous rêvez de découvrir et pourquoi ?

Très franchement, non. Je ne connais pas encore le restaurant que je voudrais découvrir ! (Rires) En tant que préfet, j’ai la chance de passer de département en département. J’espère tout simplement continuer à découvrir de nouvelles tables et leurs spécialités là où je me trouve.

Si vous deviez inviter une personnalité à dîner, où l’emmèneriez-vous, et pourquoi ?

Chez Yves et Nelly, au Vigatane à Canet-en-Roussillon. C’est un restaurant purement catalan, assez pittoresque. Il y a un mini train jaune qui circule au-dessus des clients, des têtes de taureau… C’est très authentique ! On n’y déguste que des spécialités catalanes comme des cargolades, des viandes grillées et beaucoup de poissons frais. Amis, famille et même les nouveaux sous-préfets, j’emmène tout le monde là-bas. Les patrons sont tellement sympathiques !

Est-il important pour vous de connaître l’histoire et le parcours du chef derrière les plats que vous dégustez ?

Je pense que cela ajoute quelque chose. La cuisine, c’est un métier de passion. Les cuisiniers sont des gens fascinants de par la passion qui les anime. J’ai eu beaucoup de plaisir à échanger, à découvrir les hommes qu’ils sont. Gilles Goujon et son épouse m’ont expliqué leurs débuts. Ils n’ont pas toujours été en haut de l’affiche. Les premières années ont été laborieuses. C’est dur, c’est un métier difficile. Ce sont souvent des personnes très humbles. Parfois complexes dans leur management, mais très humaines. J’adore découvrir leurs histoires.

Quelle est votre plus belle réussite à ce jour ?

Ma plus grande réussite reste à venir. Je suis fier de mon expérience à Londres où j’ai su
m’adapter et créer une équipe autour de ma cuisine et de mes principes, en y apportant
une véritable identité.

Quelle est votre opinion sur les fast-foods ? Pensez-vous qu’ils ont une place dans notre culture gastronomique ?

Dans la culture française je ne sais pas, en tout cas dans la culture gastronomique sans aucun doute. Elle fait partie du paysage. Ce n’est pas ce qui me parle le plus, mais si l’on prend le hamburger par exemple, qui est une emblématique des fast-foods, il est devenu incontournable, au même titre que le sandwich aujourd’hui. Cela offre une certaine diversité. Le chef étoilé Michel Sarran s’est proposé de créer un burger pour une marque connue, est-ce que c’est bien ? Je ne sais pas, mais je pense que c’est un fait inéluctable. Ce que l’on peut espérer, c’est que l’accent soit mis sur la qualité et le goût tout simplement…

Pouvez-vous partager un souvenir mémorable lié à une expérience culinaire, qu’il s’agisse d’un lieu, d’une rencontre ou d’un moment particulier ?

C’est tout simplement le premier déjeuner que j’ai pris avec ma femme. Enfin, celle qui allait devenir ma femme. C’était dans un winstub, dans la petite France à Strasbourg, en face des quais. Je m’en souviendrai toujours.

Avez-vous des rituels en cuisine ?

Je ne suis pas superstitieux, mais j’apprécie que tout soit parfaitement organisé avant
de commencer le service. Tout doit être bien rangé, notamment mes nombreuses petites
boîtes en inox. Je déteste voir du plastique à portée de vue. Rien ne doit déborder.

Qu’est-ce qu’un winstub ?

Entre saveurs d’autrefois, petits plats traditionnels et décor authentique, c’est le restaurant typiquement alsacien. C’est l’Alsace, il y a une très belle gastronomie, assez raffinée. Je pense notamment à la maison Kammerzell qui est face à la cathédrale, vous allez y manger de la choucroute aux trois poissons, c’est leur plat signature. C’est surprenant. Cela ne me parlait pas franchement au départ, mais c’était divin.

Aimez-vous cuisiner ?

J’adore et je cuisine même plus que mon épouse. Mais cela demande du temps et j’en manque. Je me rattrape lorsque je suis en vacances. Régulièrement, avec ma femme, nous cuisinons aussi à deux. On choisit une recette et on prépare un cheesecake au citron. Le week-end, on aime bien un thé avec un gâteau. Ce sont des moments agréables à partager à deux.

Si l’on ouvre votre réfrigérateur, qu’y trouve-t-on ?

Pas grand-chose ! (Rires) J’aime beaucoup aller au marché, nous faisons les courses quotidiennement. J’aime bien les produits frais, les produits de saison. C’est ce qui m’inspire aussi en cuisine. Pendant quinze jours, nous avons reçu nos filles avec leurs maris et leurs enfants, ils ont rempli le frigo ! (Rires) Cela leur faisait bizarre.

Préférez-vous la cuisine moderne ou traditionnelle ? Pourquoi ?

Les deux. Je n’ai pas de préférence. Vous savez, c’est comme en peinture, il faut connaître les bases. Picasso maîtrisait absolument toutes les techniques de peinture, c’est ce qui lui a permis de créer sa propre signature. Pour s’autoriser à dépasser les règles, encore faut-il les connaître.

Y a-t-il un plat ou un aliment que vous n’avez jamais osé goûter mais qui vous intrigue ?

J’ai beaucoup voyagé, j’ai goûté à un grand nombre de plats. Donc non, à l’heure actuelle, il n’y a rien que je n’aie jamais goûté et qui m’intrigue.

Un bon repas doit-il toujours s’accompagner d’une bouteille de vin ?

Le vin, c’est comme la cuisine. Cela participe de la convivialité. J’aime ouvrir une bonne bouteille, en harmonie avec le plat. J’aime surprendre, aller là où l’on ne s’attend pas. Et en tant que préfet, je suis médaillé d’un certain nombre de confréries comme les vins de Fronton ou du Fitou. J’ai une petite préférence pour le vin rouge, mais j’aime aussi les vins blancs. Je suis Alsacien, le contraire serait difficile. Et j’ai découvert ici, dans le département, les vins moelleux. Je m’imprègne du département où je suis.

Si vous deviez offrir un produit typique de votre région à un visiteur, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Je ne suis pas de la région, mais je suis un ambassadeur. C’est un peu improbable, mais ce que je fais découvrir aux personnes plutôt dans des restaurants, c’est la cargolade. Tout le monde n’aime pas les escargots, mais c’est vraiment un plat emblématique. Il existe différentes recettes, il y a la cargolade à la catalane avec de la viande, la cargolade cuite
au feu de bois. Il y a toute une culture autour, dans les villages, les gens se réunissent pour la préparer. La première que j’ai mangée, c’était dans l’Aude. J’ai vu, j’ai participé à la préparation. Il y a la bourride d’anguilles aussi. Je suis gourmand et assez ouvert, les gens le savent.

Quelle cuisine internationale appréciez-vous le plus ?

J’aime toutes les cuisines. Surtout l’italienne. J’ai un peu plus de mal avec la cuisine japonaise. Je me souviens au Japon avoir mangé un carpaccio de cerf… je n’ai pas accroché. Par contre, la cuisine thaïlandaise, oui. J’aime beaucoup tous les condiments qu’ils utilisent. La citronnelle, aussi.

La France reste-t-elle, selon vous, le pays de la gastronomie ? Pourquoi ?

Sans aucun doute. De par une tradition et une culture évidentes. Elle participe à l’attractivité du territoire, de la France. Nous sommes la première destination touristique au monde, la cuisine en est l’un des facteurs essentiels. Regardez aussi la diversité, chaque département a ses spécialités.

Vous êtes en poste ici à Perpignan depuis un an. Quelle analyse avez-vous de la gastronomie dans la région ?

Elle est assez méconnue, elle mérite plus de lumière. Il y a tout un tas de choses que j’ai découvertes en arrivant ici. C’est un départe ment de production, de maraîchage et d’élevage. Il y a beaucoup de bons produits, c’est une terre de Cocagne d’une certaine manière. Elle manque d’eau, ça c’est le sujet essentiel qui pose de grosses questions, notamment au monde agricole, mais aussi aux hôteliers et aux restaurateurs. Mon prédécesseur, pour des raisons de crise, a fermé le robinet. La prise de conscience a été là parce que les piscines ne pouvaient plus être remplies, les champs plus irrigués. Sauf qu’il y a deux piliers ici, ce sont le tourisme et l’agriculture. Tout le monde s’est rendu compte qu’il était plus que temps d’agir. Certes nous n’avons pas beaucoup d’eau, mais nous avons des idées. Avec le réchauffement climatique, les problèmes que nous rencontrons, d’autres les connaîtront. Ce qu’il faut maintenant, c’est anticiper autant que possible.